
J’ai eu la chance de participer à des sessions de remue-méninges hyper créatives au cours de ma carrière. Aucune porte n’était fermée, le budget n’était même pas encore une considération : la marque nous laissait nous amuser comme des petits enfants en délire créatif. Souvent, c’était pour une fondation, une cause ou une PME qui n’avait pas de budget d’achat média et qui souhaitait profiter du « jus créatif » pour multiplier ses efforts financiers modestes.
Nous devions alors réfléchir à un geste susceptible d’engager une discussion nationale autour d’un enjeu important. Pour y arriver, nous devions repousser les limites de la provocation.
En session de travail, il était facile de ne pas avoir peur des répercussions négatives, mais une fois en discussion avec le client, nous revenions sur terre. Il fallait faire preuve de discipline créative, car le client avait grande confiance en nos idées qui devaient les mettre sur la carte !
C’est avec ces sessions en tête que j’ai attentivement lu cet article de Future of Good, un média qui s’intéresse aux tendances de cause sociale, sur l’initiative d’un OSBL torontois qui voulait justement créer une discussion nationale en utilisant de faux « body bags »1 avec l’apparence et une fausse démarche de designer de luxe inspiré des marques haut de gamme.
La campagne a tout de suite reçu des réactions négatives de la part des survivantes de violence conjugale, allant même jusqu’à avancer que la campagne créait du fétichisme envers les femmes victimes de féminicides. De plus, d’autres critiques ont également été formulées, soulignant que la campagne ne met pas les problèmes structurels de l’avant, tels le manque de logements abordables ou la pauvreté, qui mettent les personnes potentiellement concernées en danger.
Toutefois, il est crucial de souligner l’importance des campagnes choc dans l’éveil de la conscience collective. À titre d’exemple, les campagnes de la SAAQ sur la sécurité routière au Québec ont marqué les esprits sans jamais offenser. Au contraire, elles ont contribué à sensibiliser le public à des enjeux vitaux. Plus récemment, la campagne de Qualinet lors du Bye Bye, avec sa chorale d’enfants sur fond d’images de guerre sanglantes, a réussi à éveiller un espoir profond chez de nombreux spectateurs.
Si je salue l’audace de la campagne sur cet enjeu de société trop souvent d’actualité, je déplore que l’accent soit mis à 100% sur la victime, comme si c’était de sa faute. Où est l’agresseur, le vrai responsable derrière ces statistiques révoltantes dans cette campagne ? À qui je parle ? Ce principe de base semble avoir été oublié ici. Les tendances mode, la haute couture et les vêtements de designer, ce sont des intérêts à des années-lumière de la réalité de la majorité des Canadiennes victimes de violence. Où vais-je aller avec les enfants si je le quitte ? Avec quel argent ?
Dans une campagne choc, il doit y avoir, selon moi, un certain appariement entre les valeurs et la réalité du public cible et le concept de ce que l’on met de l’avant, ce qui n’est pas le cas ici.
Les « stunts » et les campagnes fortes qui façonnent l’imagination de la population par des idées créatives et surprenantes présentent souvent un retour sur investissement incommensurable par rapport à des campagnes publicitaires traditionnelles. Par contre, deux éléments vitaux doivent être pris en compte : la présence de spécialistes des relations publiques qui prennent le pouls constant des enjeux et de la sensibilité de la société ainsi que des éléments de l’actualité partout dans le marché visé et la consultation des communautés et des parties prenantes qui seraient impliquées ou touchées par une campagne, particulièrement lorsque nous développons des campagnes qui veulent surprendre, choquer et provoquer des discussions nationales.
Les meilleures campagnes sortent de l’ordinaire et s’inscrivent contextuellement dans les sensibilités émotionnelles de la population tout en évitant d’en aliéner une partie.
- Body bag: Sac mortuaire ↩︎
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